DATES

Metaxu Acte 1 : Le Monde est ainsi pour nous comme un compagnon de travail

28 et 29 Mai 2019 : La Vignette, Montpellier (34) La Traversée – Atelier de pratique théâtrale du Théâtre La Vignette

L'ÉQUIPE

Conception et mise en scène :
Virgile Simon et Antoine Wellens du Primesautier Théâtre et Florian Onnéin de la troupe permanente des 13 Vents-CDN de Montpellier

Assistanat Mise en scène :
Clara Camille Greth

Jeu : Oksana Baudouin, Juan Bescos, Roxane Borgna, Mélanie Delmas, Stefan Delon, Day Do Thi Khue, Daniel Gonzalez, Kelly Guay, Damien Jourdain, Isabelle Le Lidec, Mélissa Lezcano, Ghislaine Maamouche, Martin Marques Dos Santos, Niyousha Masudy, Thibaut Nicolas, Basil Prange, Colette Pratlong, Julien Puche, Mathile Raynaud, Charlotte Renouard, François Rios, Claire Sastourné, Aziza Spiteri, Audrey Susini, Anna Tiazhkorob, Miranda Vidal

PRODUCTION

Production : Primesautier Théâtre
Co-production : Théâtre La Vignette

METAXU – Assemblée Générale pour les besoins de l’Âme

D’après l’oeuvre philosophique de Simone Weil (pas la ministre de Giscard, l’autre !)


« La période présente est de celles où tout ce qui semble normalement constituer une raison de vivre s’évanouit, où l’on doit, sous peine de sombrer dans le désarroi ou l’inconscience, tout remettre en question. Le triomphe des mouvements autoritaires et nationalistes ruine un peu partout l’espoir mis dans la démocratie et dans le pacifisme, ce n’est qu’une partie du mal dont nous souffrons ; il est bien plus profond et bien plus étendu. On peut se demander s’il existe un domaine de la vie publique ou privée où les sources même de l’activité et de l’espérance ne soient pas empoisonnées par les conditions dans lesquelles nous vivons. Le travail ne s’accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu’on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort, un privilège dont on exclut plusieurs êtres humains du fait même qu’on en jouit, bref une place. »


Après un cycle de travail sur Arts et Sciences (La vie de Galilée, L’art (n’)e(s)t (pas) la science ? et C’est quoi un étudiant en science aujourd’hui ?), puis sur les cultures populaires via la figure du sociologue anglais Richard Hoggart (Mais il faut bien vivre !, Le principe du Truc et Mes poings sur les I) le Primesautier Théâtre a ouvert la saison dernière un nouveau cycle de travail, toujours centré sur les « mécanismes de domination sociale », autour de l’œuvre de la philosophe Simone Weil.

Fidèle à ses méthodes « documentaires » de création incluant différents publics comme véritables partenaires de travail, le Primesautier Théâtre souhaite approfondir et renforcer son rapport avec eux en proposant, sur différents territoires, une série de créations partagées : Les Metaxus /Assemblées Générales pour les besoins de l’âme[1].

Nous utiliserons les textes de Weil comme autant de leviers propices à la rencontre, à l’échange, à une réappropriation de « la » parole. Nous pourrons ainsi réfléchir ensemble et imaginer avec les participants (comme elle le fit en son temps), une société nouvelle dont les mots Amour / Justice / Solidarité / Bien et Beauté seront réaffirmés et remis sur le devant de la scène.

La Compagnie, pour mettre en jeu et en corps cette parole philosophique et en rendre théâtralement compte, empruntera aux formes et vocabulaires des luttes, qu’elles soient personnelles, sociales ou politiques (commissions de travail / assemblées générales / agora / manifestations…) afin de trouver les ressorts de mises en scène adéquats pour faire émerger une parole vivante, sensible, une parole passionnée, affirmée ou contradictoire.

[1] Simone Weil a emprunté à Platon l’idée de metaxu, en grec μεταξύ ; cette préposition du grec ancien traduit l’idée d’intermédiaire ; Simone Weil développe à partir de cette notion une métaphysique de la médiation et de la moyenne proportionnelle : ce qui sépare peut aussi relier, par exemple, un mur sépare deux prisonniers, mais peut être utilisé pour communiquer par des coups frappés contre le mur. « Le mur est ce qui les sépare, mais aussi ce qui leur permet de communiquer. Toute séparation est un lien. »

 

©Fabienne Augié

Réinventer une poétique commune par des AG théâtrales

L’œuvre de Simone Weil s’est construite avec le monde comme « compagnon de travail ». C’est la réalité et l’expérience de la réalité qui en ont été le centre le plus ardent. Son œuvre, à sa lecture, est un formidable choc tant elle semble encore aujourd’hui dialoguer avec nos existences, avec la manière de se sentir exister au sein d’un monde. Notre volonté est donc, non seulement de faire partager cette lecture, mais aussi d’inviter le plus grand nombre à converser avec elle, à l’élargir par l’exemple, la mettre en doute, la mettre à l’épreuve du réel, de l’autre et de la scène. Les textes de Weil semblent en effet attendre que l’on y réponde, que l’on propose et superpose aussi sa propre pensée aux problématiques et hypothèses qu’elle soulève.

Weil était toujours au cœur des luttes de son époque. Une bonne part de son œuvre est en effet composée d’articles qu’elle écrivait pour des journaux, syndicats et groupes de réflexion autour de la révolution prolétarienne. Loin d’être pour des « lendemains qui chantent », Simone Weil a toujours été critique envers la notion même de révolution. Elle assumait toutes les contradictions et ses nombreux textes en attestent ainsi que les échanges houleux qu’elle entretenait avec ses camarades.

Le projet de la Compagnie est donc d’emprunter la forme et le vocabulaire des assemblées générales de luttes sociales pour en faire une œuvre théâtrale propice au déploiement de joutes orales et contradictoires, d’effervescences tant de la pensée que des actions.

Ce cadre permet ainsi d’accueillir non seulement des extraits de l’œuvre de Weil mais aussi la parole des participants, des témoignages, des réponses en lien étroit avec la réalité des personnes et des territoires participant à ces créations partagées.

Montrer par cette forme même non pas le chaos ou la violence, souvent relayés par les médias, des occupations et des AG mais bien la beauté qui sous-tend souvent ce genre de réunion, témoignant d’un besoin de faire du bien à l’âme, de repenser spontanément les rapports de force à l’œuvre qui caractérisent la domination sociale.

En effet, le temps « volé », « arraché » aux contingences du quotidien et l’urgence de ces assemblées sont aussi souvent source d’espoir, de réappropriation de sa propre parole, d’échange, de fraternité.

Le plateau, un lieu de vie et d’émulation par l’irruption de la pensée

Pour ces créations partagées nous envisageons le plateau comme un lieu occupé, vivant, luttant, où nous voyons à l’œuvre le travail de différentes commissions de luttes, tour à tour inquiet, travailleur, festif, mais qui n’oublie cependant pas d’être un lieu de théâtre, où la pensée peut se déployer sous différentes formes, de la plus théâtrale à celle du simple débat.

La joie de ces débats et de l’organisation de cette lutte générale pour les besoins de l’âme émanera de chaque moment concret (ordre du jour, logistique, planning d’occupation des lieux…) et donnera naissance à l’incarnation d’un débat théorique et plus général. Comme si toutes ces personnes, différentes de par leurs classes, leurs âges et leurs parcours ne pouvaient s’empêcher débattre de tout, de tout remettre en cause. Comme si d’un seul coup le simple fait de s’organiser ensemble devait remettre en cause toutes leurs habitudes.

Car si tous sont unis par l’idée de la lutte, de la révolution ou d’une utopie, l’application et la mise en œuvre de celles-ci les sépare aussi dans le même mouvement (c’est le Metaxu, toute séparation est un lien). Chacun, en libre penseur, devient ainsi l’empêcheur de l’autre, son contradicteur. Ainsi l’idéal révolutionnaire se confrontera à la réalité. Et c’est là un des aspects les plus théâtralement séduisants pour mettre en jeu la philosophie de Weil, car nous dit-elle :

 « La contradiction seule nous fait éprouver que nous ne sommes pas tout ; le réel, c’est essentiellement la contradiction. Car le réel c’est l’obstacle, et l’obstacle d’un être pensant, c’est la contradiction. Il n’y a pensée que lorsque la pensée est défaite par la contradiction, par l’irruption d’une réalité qui échappe à sa logique. »

De ce groupe, un pied dans le rêve d’idéal et l’autre dans sa réalisation impossible, émergeront alors des individualités, des figures et des rapports de groupes. C’est l’histoire de cette assemblée qui servira ici de fable. Leurs échecs, leurs réussites, leurs témoignages, la manière dont ils « occuperont » le plateau et en feront un lieu utopique de vie en commun, de frictions fictionnelles ou fictions frictionnelles. Joie et fatigue des arguments, témoignages à cru, envolées lyriques pour une société meilleure, échec du discours, répétitions d’actions, difficultés dans cette lutte égalitaire de ne pas reproduire les schémas de domination, écriture d’une plate-forme de revendications… Toutes ces contingences de la lutte donneront lieu à des débats et amèneront des doutes sur un mouvement totalement utopique. Utopique comme peut l’être un plateau de théâtre. Utopique comme peut l’être un manifeste politique.

Ce plateau théâtral serait donc un lieu où « les hommes se grouperaient en petites collectivités travailleuses, où la coopération serait la loi suprême, et où chacun pourrait clairement comprendre et contrôler le rapport des règles auxquelles sa vie serait soumise avec l’intérêt général. Au reste chaque moment de l’existence apporterait à chacun l’occasion de comprendre et d’éprouver combien tous les hommes sont profondément un, puisqu’ils ont tous à mettre aux prises une même raison. Sans doute c’est là une pure utopie.

Mais décrire même sommairement un état des choses qui serait meilleur que ce qui est, c’est toujours bâtir une utopie. Pourtant rien n’est plus nécessaire à la vie que des descriptions semblables, pourvu qu’elles soient toujours dictées par la raison. »S.WEIL

Pourquoi Simone Weil ?

Simone Weil est une philosophe française, élève d’Alain qui vécut de 1909 à 1943. De cette vie brève et intense, elle n’a pas laissé de volume autonome de ses écrits. De sa philosophie irrégulière et passionnée nous retiendrons pour ce projet principalement la philosophe éthique, sociale et politique. Engagée auprès des plus faibles (elle s’est enrôlée à l’usine, dans la guerre d’Espagne, auprès de la France libre…) et sur tous les terrains (des plus urbains à l’usine aux plus ruraux dans les champs), Weil a accordé une place toute particulière dans sa philosophie à l’acte de « penser » nos rapports à la société. Toute son œuvre semble dire et ce, quel qu’en soit le sujet : « N’ayez pas peur de penser. N’ayez pas peur de vos pensées. N’ayez pas peur de penser par vous-même. » Elle analysera entre autres le monde du travail et cherchera des solutions à des problèmes qui lui paraissent être ceux de son époque, ou plus exactement qui reflètent l’aspect contemporain de problèmes permanents : la misère, l’inégalité, et surtout l’humiliation des faibles, l’écrasement des esprits par la collectivité dans un contexte impérialiste ou bureaucratique.

Au fil de son œuvre elle n’a cessé de proposer des solutions concrètes pour son époque et pour une société plus juste. Les mots de Bonté, Bien, Mal, Justice, Vérité, Beauté et Amour sont des mots qu’elle n’a cessé d’interroger et de mettre au centre de sa philosophie. Nous pensons que ces mots aujourd’hui raillés de toutes parts par le cynisme ambiant, qui, dès qu’ils sont prononcés se voient toujours taxés de naïveté, de rêverie, de démagogie sont pourtant bien, à l’aune de nos sociétés contemporaines individualistes, à réinterroger et réaffirmer.

Weil dissocie les droits et les lois (vocabulaire marchand) des obligations envers l’homme. Elle pense qu’en chacun de nous il y a une part de sacré qui doit être respectée au-delà des droits et des institutions et qu’il faudrait dès lors en inventer d’autres si celles-ci s’avéraient injustes.

Alors, si comme elle aime à le dire « nos idées nous obligent », il nous semble théâtralement prometteur de se réapproprier le goût du débat et de provoquer des assemblées générales extraordinaires, poétiques et artistiques. Des AG théâtrales non pour répondre directement à des revendications salariales mais comme une formidable opportunité d’inventorier, entre le « malheur et la joie », entre le groupe et l’individu, ce qui pourrait  faire aujourd’hui « du bien à l’âme » et construire une société plus juste.

 Après tout, ne voulons-nous pas plus qu’exister ?