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UNE SEMAINE SUR UNE PHRASE

ÉTAT DE WEIL #2

Qu’est ce que c’est…

 

Parce que la compagnie travaille actuellement À BRAS LE CORPS, sa nouvelle création autour des écrits de Simone Weil ( la philosophe ! ) et parce que l’équipe est éloignée géographiquement, nous nous sommes promis de nous donner des nouvelles du travail en cours pour et par chacun / chacune…
Alors une fois par mois, un des membres de l’équipe va proposer un texte, associé à une photo de Fabienne Augié (photographe et comédienne).

Cet État de Weil proposera une vision subjective de son auteur sur son rapport à Weil et au Travail, sans se soucier de la longueur, du ton et du format.

Un État de Weil envisagé comme une manière de garder le lien, de la liberté, de se lire et d’offrir un peu de textualité imagée du travail en cours, de ce qu’il provoque, frotte, nettoie ou assombri…

Ces États de Weil, juste pour le plaisir, juste pour partager, juste pour le travail, car c’est bien de cela qu’il s’agit…

 

 

 

 

UNE SEMAINE SUR UNE PHRASE


C’est étonnant de naviguer dans l’œuvre de Simone Weil. Depuis plus d’un an maintenant, je lis et traverse nombre de questionnements, de réflexions, d’émotions, de perditions, de joies qui me transportent dans des chantiers philosophiques. Simone Weil fait des états de lieux magnifiques et actuels, développe des raisonnements incroyables.

Dans son texte Conditions premières d’un travail non servile son raisonnement est beau et pertinent, je suis embarquée dans le fil de sa pensée :

Dans le travail d’exécution il y a une irréductible servitude « c’est le fait qu’il est gouverné par la nécessité, non par la finalité. On l’exécute à cause d’un besoin, non en vue d’un bien ».

Et voilà le problème car  pour Simone, «  il n’y a pas pour l’effort d’autre source d’énergie que le désir ». Comment alors trouver un sens à ce que l’on fait ?

« On travaille seulement parce qu’on a besoin de manger. Mais on mange pour pouvoir continuer à travailler ».

Pour faire face au désespoir de la situation, elle liste toutes sortes de compensations comme l’ambition d’une autre condition sociale, les plaisirs faciles, la débauche, l’espoir de la révolution, l’espoir d’un avenir meilleur pour ses enfants…

Mais pour combler  ce vide « il n’y a pas le choix des remèdes. Il n’y en a qu’un seul. Une seule chose rend supportable la monotonie, c’est la lumière d’éternité ; c’est la beauté. » La poésie est donc une condition première pour le peuple.

 «Le peuple a besoin de poésie comme de pain. Non pas la poésie enfermée dans les mots ; celle-là, par elle-même, ne peut lui être d’aucun usage. Il a besoin que la substance quotidienne de sa vie soit elle-même poésie.

Et juste après je lis :

« Une telle poésie ne peut avoir qu’une source. Cette source est Dieu. (…) La condition des travailleurs est celle où la faim de finalité qui constitue l’être même de tout homme ne peut pas être rassasiée, sinon par Dieu. »

El là vlan, c’est comme une porte qu’elle claque sur mon nez. Dieu qu’est-ce que c’est ? Je n’arrive pas à mettre de mots, d’images et même de sens derrière. Je ne suis pas croyante et d’un coup je perds pieds… Quelque chose m’échappe, je sens un profond abandon, c’est une fermeture brutale qui me laisse dans l’incompréhension. Pourquoi ? Comment peut-elle me laisser choir ainsi ? Que faire ? On ne peut pas aller plus loin ? N’y a t-il pas d’autre issue ?

Qu’importe je vais essayer de la suivre, et puis c’est pas la première fois qu’elle aura essayé de me perdre ! Je veux comprendre ce qu’elle entend par Dieu.

Petite déformation professionnelle, j’essaie de me mettre dans l’état de croyante : je fais quelques étirements, je ferme les yeux, puis les rouvre plusieurs fois, je fais le vide dans mon cerveau afin d’atteindre un état méditatif, je respire profondément, je relègue au placard mes préjugés d’athée, j’ouvre mes chakras, je bois quelques yogi tea….

Je repense à ce « détachement » dont parle Simone, « une transformation dans l’orientation de l’âme ».

Je me rappelle que dans sa biographie sur Simone Weil, Laure Adler disait : « Quand elle était étudiante en khâgne, elle avait inventé une méthode qu’elle nommait sa méditation ultra-spinoziste : regarder un objet fixement en se demandant ce que c’est, sans rapport avec rien d’autre, pendant des heures ».

J’ultra spinozize à fond sur le sapin de noël, rien, sur mon chat, il s’en va, sur la fenêtre, ah tiens un merle vient de se poser sur l’arbre… ah, ah ! J’y arrive pas !

Simone parle d’un effacement volontaire du moi. Je relis ses textes et ce que je comprends c’est que Dieu est parti après la création et la seule façon qu’il vienne en chacun de nous c’est de faire du vide pour qu’il ait sa place.

Je me concentre à nouveau, je cherche le renoncement de la personne à elle-même, dans ma tête résonne sortir du moi, sortir du moi….

Mais non, rien ne vient éclairer ce moment. J’ai toujours l’impression que Simone m’abandonne et que je suis qu’une pauvre fille reléguée à rester les deux pieds sur terre.

Demain sera un autre jour !

Aujourd’hui, changement de méthode. Je me rappelle avoir lu que pendant la guerre, Simone Weil écrivait à son frère des lettres avec certains mots en langage crypté, par exemple elle appelait la police Oscar… Une idée me vient. Si ce mot de Dieu ne résonne pas en moi, essayons un autre mot. Je remplace alors ce mot par le mot Amour :

Une telle poésie ne peut avoir qu’une source. Cette source est l’Amour. (…) La condition des travailleurs est celle où la faim de finalité qui constitue l’être même de tout homme ne peut pas être rassasiée, sinon par l’Amour.

Oui, c’est beau !!! Mais la solution apportée reste quand même assez planante. J’ai l’impression maintenant d’être parachuté en plein mouvement hippie, souriante et un peu désabusée, incitée à user des psychotropes, je passe la journée à fredonner les Beatles « All you need is love, love…. »

Demain sera un autre jour !

Debout de bonne heure, la nuit m’a vaguement proposé une solution. Je dois dire d’avance que j’en suis peu convaincue, méfiante envers les rêves des paradis artificiels mais au point où j’en suis…

Une telle poésie ne peut avoir qu’une source. Cette source est Antoine Wellens. (…) La condition des travailleurs est celle où la faim de finalité qui constitue l’être même de tout homme ne peut pas être rassasiée, sinon par Antoine Wellens.

Aïe, non décidément, il fallait peut être le tenter mais le résultat ne m’éclaire pas… Le culte de la personnalité est une bien mauvaise pente. Au secours !

Demain sera un autre jour !

Je retourne lire la biographie de Simone Weil par son amie Simone Pétrement. Et là miracle ! Que vois-je ? Simone elle–même change le mot de Dieu par « ma liberté » :

« On trouve, parmi les essais qu’elle écrivit en khâgne, un texte qui montre bien le sens et les limites de sa croyance en Dieu : « Je peux convenir d’appeler Dieu ma propre liberté. Cette convention a l’avantage de me délivrer de tout Dieu-objet et d’établir que le mode de réalité de Dieu n’est pas l’existence ni l’essence, mais ce que Lagneau appelait valeur. D’autre part, il est clair que Dieu, s’il n’était ni n’existait, serait moins qu’un abstrait, car un abstrait du moins est pensé, tandis que Dieu ne peut l’être ; or si Dieu est ma liberté, il est et il existe chaque fois que ma liberté se manifeste dans mes idées et mes mouvements, c’est-à-dire chaque fois que je pense. Mais ce n’est là qu’une question de mots, je suis aussi solitaire avec ce Dieu que sans lui. »

Je sens que j’ai là une piste sure :

Une telle poésie ne peut avoir qu’une source. Cette source est la Liberté. (…) La condition des travailleurs est celle où la faim de finalité qui constitue l’être même de tout homme ne peut pas être rassasiée, sinon par sa Liberté.

Ah voilà qui résonne ! J’ai enfin un début de compréhension qui s’amorce. D’accord, basculons les valeurs quand c’est trop obscur.

C’est sûrement pas une méthode très catholique ni très scientifique mais il faut se trouver des moyens de survie pour traverser cette œuvre.

Demain sera un autre jour !

Je ne suis pas satisfaite, mon entourloupe d’hier n’est pas très classe. Aujourd’hui je décide de me plonger dans les cahiers de Simone Weil, il faut que je comprenne plus précisément ce qu’elle entend par Dieu. Quelques pages de lecture plus loin :

« Le problème de l’existence de Dieu n’a pas de sens pour moi. En un sens je suis tout à fait sûre qu’il y a un Dieu, c’est à dire que je suis tout à fait sûre que l’objet de mon amour n’est pas une illusion. En ce sens je suis tout à fait sûre qu’il n’y a pas de Dieu, car je suis sûre que rien de réel ne ressemble à ce que je conçois quand je prononce ce mot puisque je suis incapable de le concevoir. »

Et là je saisis qu’il ne s’agit pas de comprendre, depuis plusieurs jours je cherche à comprendre alors que ce n’est pas là que cela se joue. C’est plus grand, c’est ailleurs, ça se ressent, comme l’amour. Et toujours dans ses cahiers :

« Croire en un Dieu qui ressemble en tout au vrai, excepté qu’il n’existe pas, car on ne se trouve pas au point où Dieu existe. »

La contradiction comme source de questionnement, d’interrogations et de pensée. Jusqu’à présent je pensais que croire c’est adhérer, c’est accepter et donc ne pas remettre en question. Je m’aperçois que pour Simone ce n’est pas du tout ça, au contraire, c’est remettre en question, sa pensée est toujours mouvante et en recherche, son désir est de ne pas avoir de certitudes et ça, ça me plait !

Dans l’Enracinement, son dernier texte, elle précise « la vie contraint à croire ce qu’on a besoin de croire pour vivre. » Elle y cherche des questions et non pas des réponses.

Elle dit aussi « Dieu, qui est l’humanité, c’est à dire l’esprit humain ». Ce qui me donne l ‘idée de reformuler un dernière fois son texte :

Une telle poésie ne peut avoir qu’une source. Cette source est le questionnement. (…) La condition des travailleurs est celle où la faim de finalité qui constitue l’être même de tout homme ne peut pas être rassasiée, sinon par ses questionnements.

Aujourd’hui, c’est ainsi que je le comprends. Demain sera un autre jour…

Voilà comment passer une semaine sur une phrase de Simone Weil, heureusement aujourd’hui une autre année commence !

 

Amarine Brunet
Photographie : Fabienne Augié